Table ronde ‘Financing & Affordability’

  • Réflexions sur le financement dans la construction

Les keynotes présentées lors du workshop sur le thème ‘financing & affordability of construction in 2030-2040’ sont suivies d’une table ronde avec les différents orateurs, sous la direction de Kevin Dethier et de Jean-Christophe Vanderhaegen, assumant le rôle de modérateurs en leur qualité de membres du Comité de vision de Buildwise. Nous vous livrons ci-dessous un commentaire des éléments principaux du débat.

Une première question concerne les investissements publics. Thierry De Wever a laissé entendre que de nombreux investissements dans le domaine public sont en préparation. On se demande si la politique pourra affecter à temps cet argent à différents projets.

Thierry De Wever : « Tous les projets ne seront pas élaborés dans le délai défini. La question n’est pas seulement de savoir si le gouvernement dispose de capacités suffisantes pour mettre en place des projets dans les temps. Les permis et la hausse des prix de la construction peuvent eux aussi entraîner des retards. Des retards, il y en aura sûrement, mais un tel report donnera même lieu à des annulations.

  • PPP

En matière de partenariat public-privé (PPP), on observe souvent de très gros partenariats et de très gros projets. Une question se pose à cet égard : les projets PPP sont-ils également adaptés aux PME ?

Thierry De Wever : « Du point de vue du secteur bancaire, on observe en effet que ce sont souvent les mêmes grandes entreprises qui participent. Dans une construction PPP, de nombreuses prescriptions légales sont toujours en jeu, mais cela peut tout à fait, en théorie, être ramené à des projets de 10 à 15 millions d’EUR qui, eux, sont bien à la portée des PME. Voilà pour la théorie. En pratique, on observe cependant que, lors du lancement d’un nouveau PPP et pour diverses raisons, des conditions supplémentaires sont toujours intégrées. Si, en théorie, un partenariat PP de ce type est donc accessible également aux PME, on observe en effet dans la pratique que cela ne s’est pas encore fait jusqu’à présent. »

Une blockchain peut-elle offrir une solution et permettre de rendre le cadre légal accessible aux PME ?

Dave Remue : « Il s’agit là d’une idée intéressante, en sachant toutefois qu’une blockchain ne fonctionne qu’en présence d’une certaine standardisation entre les différentes parties qui y sont représentées. Si l’on procède au cas par cas et sans standardisation suffisante, une blockchain n’est pas une solution. Une blockchain peut accroître l’efficacité, mais cela nécessite un effort de standardisation. Elle peut également aider à automatiser certaines matières, comme les obligations contractuelles, mais les différents participants doivent marquer leur accord à cet égard. La blockchain devient alors l’élément légalement contraignant. En cas de blockchain, la technologie constitue la partie « facile ». L’aspect non technique n’est pas à sous-estimer. L’avantage de la blockchain tient au fait qu’au plus le réseau accueillera de personnes, au plus il sera efficace dans son ensemble. L’inconvénient de ce système concerne toutefois la nécessité de conclure plus d’accords et d’accroître la standardisation à mesure que le réseau augmente son nombre de participants.

Le gouvernement devrait proposer un autre mode de financement, par ex pour les logements sociaux. Comment y parvenir ?

Kim Creten : « Le secteur privé peut assurément réaliser des projets de construction plus rapidement que ce que la politique préconise aujourd’hui. La capacité de construction est disponible, mais le prix est trop élevé pour des logements sociaux. Un système dans lequel le budget disponible des pouvoirs publics est utilisé comme subvention locative, permettant de mettre ces biens en location également comme logements sociaux, constitue sans doute une meilleure solution. »

  • Lenteur des permis

Au niveau des investissements privés, les permis d’urbanisme jouent un rôle important et prennent énormément de temps au sein des trois communautés. Les pouvoirs publics devraient prendre des mesures pour réduire drastiquement ce délai de traitement. Quels seraient, du point de vue des banques, les avantages concrets d’une réduction de ce délai ?

Kim Creten : « Puis-je examiner cette question depuis le point de vue du développeur ? Entre l’achat des terrains, le début des travaux et la mise en vente ou en location, le laps de temps est très long. Pendant tout ce temps, du capital est immobilisé dans le projet. Plus cette immobilisation est longue, moins un développeur a la capacité de développer d’autres projets. Si l’on entend donc accroître d’un côté l’offre résidentielle sur le marché et, de l’autre, réduire les coûts que cela représente pour le développeur, il convient également de raccourcir fortement les procédures d’obtention de permis d’urbanisme.

Thierry De Wever : « Si je demande à des développeurs immobiliers quel est le risque le plus élevé dans leur activité, ils répondront assurément le risque inhérent aux permis. »

Wim Straetmans : « Le capital est bloqué, mais une grande incertitude subsiste également et c’est fatal. Si votre permis se fait attendre longtemps, vous êtes confronté à de nouvelles normes et à une nouvelle réglementation, s’il faut introduire une deuxième demande. C’est fatal pour le secteur. »

  • Crédit vert

Francis Carnoy, directeur général de la Confédération Construction wallonne, demande au panel comment il y a lieu d’aborder la rénovation massive de plus de trois millions d’anciens logements en Belgique. Il souhaite également savoir comment activer en Belgique les trois milliards d’EUR d’épargne dormante en Belgique afin de financer cette vague de rénovation. Les actions vertes pourraient-elles offrir une solution à cet égard ou le monde bancaire pense-t-il à d’autres solutions spécifiques ?

Geert Temmerman : « Les crédits verts et les actions vertes génèrent une certaine réduction des taux d’intérêt, mais la différence avec un financement traditionnel est faible. Ce système peut constituer un stimulant, mais il ne résoudra pas tous les problèmes de rénovation. Nous avons besoin d’autres solutions. »

Kim Creten : « Pour la personne qui souhaite rénover sa maison, le financement n’est qu’un aspect. Les éléments en jeu vont bien au-delà de cela et toutes les banques cherchent actuellement une solution, mais nous avons surtout besoin d’une approche combinée. La politique doit surtout développer un incitant de nature à encourager les propriétaires privés à enclencher le processus de rénovation de leur logement. Aujourd’hui, le propriétaire lambda d’une maison ignore tout de ce que l’on attend de lui concernant la rénovation de son habitation.

Comment inciter les personnes âgées à s’engager sur la voie de la rénovation ? L’hypothèque inversée constitue-t-elle une solution financière éventuelle en la matière ?

Kim Creten : « L’hypothèque inversée n’existe pas encore en Belgique. Toutefois, ce système est déjà présent ailleurs. Il concerne toute personne qui contracte un emprunt en sachant à l’avance qu’elle ne pourra pas le rembourser. Cette personne donne donc le droit à la banque de lui imputer les taux d’intérêt. Ces intérêts lui sont portés en compte sur base mensuelle jusqu’à son décès ou jusqu’à la vente de la maison. Pour la banque, ce système n’est pas sans risque et il peut également causer des problèmes sur le plan social car les héritiers héritent de la maison, mais aussi des dettes qui l’accompagnent. Si les enfants ne sont pas en mesure d’apurer ces dettes, le bien doit être vendu pour rembourser l’emprunt et ce n’est pas souhaitable. »

Thierry De Wever : « Aujourd’hui, le propriétaire d’une maison n’a pas conscience que son bien présente un problème. Nous devrions pouvoir poser une obligation de rénovation dans le chef de l’acquéreur, par analogie aux obligations énergétiques déjà en vigueur. Cela permettrait de faire pression sur le prix de vente de vieilles maisons tout en offrant une solution permettant à chaque fois de faire rénover ces biens lors de leur acquisition. »

  • Durabilité

Nous voulons être durables, mais surtout faire savoir à tous que nous le sommes. Comment pouvons-nous témoigner aux banques de notre démarche durable ?

Geert Temmerman : « Les banques vous inviteront à leur présenter une stratégie de durabilité. Le marché et l’autorité réglementaire nous y contraindront. La durabilité est la voie à suivre, et nous ne ferons pas marche arrière. De très nombreuses entreprises devront adapter leur stratégie. Il n’y a plus de retour possible. »

Kim Creten : « Pour vérifier cela, nous utilisons la taxonomie de l’UE, avec des règles extrêmement détaillées. Des règles qui déterminent ce qui est durable et ce que l’on peut considérer comme du greenwashing. »

Domenico Campogrande, directeur général de la FIEC, s’enquiert par visioconférence des conséquences pratiques de la taxonomie pour les entrepreneurs.

Kim Creten : « Les banques ont l’obligation de demander plus d’informations concernant l’émission de gaz à effet de serre. Il vous faudra donc collecter des données relatives à votre consommation énergétique, à votre émission de gaz à effet de serre, au processus de construction proprement dit, à l’urban mining de matières premières, etc. et tenir une sorte de comptabilité CO2 de tous ces processus. Une fois toutes ces informations disponibles, ces données seront stockées dans des banques de données et reliées à des systèmes, comme Totem ou Madaster. Outre le prix et la qualité, l’aspect « durabilité » jouera un rôle très important pour votre activité. »

Wim Straetmans : « Peut-on dire que nous connaissons aujourd’hui la direction à prendre, mais sans en connaître encore les détails ? »

Kim Creten : « J’espère que chacun a bien conscience de la direction que nous prenons. Comme vous le dites, les détails ne sont pas encore précis, mais une chose doit être claire : les techniques et les procédures doivent être améliorées, pas seulement du côté des entrepreneurs, mais au niveau de toutes les parties prenantes : architectes, développeurs, etc. En définitive, les banques se verront obligées par la Banque centrale européenne de faire la comptabilité de tout cela. »

Dave Remue : « En Australie, les pouvoirs publics, le secteur privé et le monde académique œuvrent main dans la main. Ils réfléchissent à la carte d’identité d’un bâtiment sur toute sa durée de vie : origines, transport, provenance du bois (forêts environnantes ?), moyens énergétiques utilisés, etc. Une multitude d’informations figurant sur la carte d’identité de ce bâtiment. Cette certification met en confiance les banques qui doivent évaluer le risque financier et offrir les garanties nécessaires en matière de durabilité. »

  • Circularité

L’avenir est à la circularité… mais la circularité s’avère souvent plus onéreuse. Les banques sont-elles disposées à prendre cet élément en compte lorsqu’il s’agit d’investir dans des projets ?

Thierry De Wever  « Il s’agit là d’un sujet important pour le secteur. En définitive, on se trouve face à trois principes de base : la capacité de remboursement, le risque et la valeur résiduelle. Pour certains matériaux, ces principes pèseront plus que pour d’autres. Si nous sommes en mesure de financer un grand acteur sur le plan de la circularité, cela fonctionnera peut-être bien. Tout est une question de risque. »

Kim Creten : « Nous avons un peu d’expérience en la matière. Il y a quelques temps, nous avons cofinancé le nouveau business model ‘light as a service’. Le client paie son éclairage et les banques demeurent propriétaires de l’infrastructure lumineuse. Mais le nombre de transactions de ce type sur le marché est très limité. Cela appelle un état d’esprit différent et je suis convaincu que cela arrive, y compris pour d’autres modèles d’entreprise. Lorsqu’une partie de l’investissement se situe dans la valeur résiduelle, les banques sont disposées à prendre un risque à long terme. »

  • Innovation

Peggy Totté, d’Architectuurwijzer, pose une question spécifique sur l’octroi de prêts à des coopératives. Dans la commune de Knokke-Heist, le prix des logements est très élevé et la commune entend faire sortir de terre 50 appartements pour les jeunes de sa localité, sur des terrains qu’elles souhaite proposer en leasing à une coopérative. Mais les banques ne veulent pas accorder de prêt à une telle coopérative. Quelles sont les conditions pour pouvoir accorder un prêt à de telles nouvelles coopératives et quelle contribution attend-on de la part des membres ? Y a-t-il besoin d’une garantie de la commune, qui reste propriétaire du terrain ?

Thierry De Wever : « Le prix d’une maison comprend le terrain, les frais de construction, assortis d’une prime. Si l’on ôte les frais inhérents au terrain, la valeur résiduelle est plus faible. Les banques doivent récupérer leur prêt sur une période relativement courte. Peut-être existe-t-il également des limitations au niveau de la construction ou peut-être les personnes ne peuvent-elles pas simplement revendre leur logement à leur tour. C’est très difficile pour un organisme financier. C’est certainement discutable, mais je ne peux pas apporter de réponse générale. Il nous faut plus de détails, pour ça. Nous devons à chaque fois examiner les conditions spécifiques et nous pencher sur la structure de risque et sur le potentiel de rentabilité de tels projets. L’échelle est également importante : doit-on envisager un type de prêt distinct pour cinq ou dix maisons ou parle-t-on de deux cent maisons ? Les conditions périphériques sont très importantes pour de tels financements. »

  • Durée de l’emprunt

Pourquoi ne peut-on pas porter la durée d’un emprunt de 20 à 30 ou 40 ans pour garantir la capacité de remboursement ?

Geert Temmerman : « Dans certains pays voisins, on trouve déjà des crédits hypothécaires d’une durée de 40 ans ou plus. Ces crédits traversent les générations. Il ne faut pas oublier non plus que ce délai de remboursement plus long influence également le prix. Rembourser un emprunt sur une plus longue période, c’est parfois avoir la chance d’acquérir un bien plus onéreux. Les crédits bon marché et les délais de remboursement plus courts font croître les prix des logements, avec pour conséquence, justement, une moindre accessibilité financière des logements à l’avenir. »

Ne pourrait-on pas innover en optant pour une emphytéose ? L’emphythéote pourrait alors utiliser le terrain pendant 90 ou 99 ans et y construire un logement.

Kim Creten : « Tout propriétaire foncier attend que ses terrains lui rapportent quelque chose. Cela peut passer par une mise en vente ou par une emphythéose. Il reste alors propriétaire, mais l’emphythéote sera tenu de lui payer l’occupation de son terrain pendant tout ce laps de temps. Il s’agit donc de répartir le prix du terrain sur une plus longue période. C’est mieux en termes d’accessibilité financière, mais cela stimule également un accroissement des prix de construction. Sur le marché résidentiel, tout est lié. »

En ville, les prix des logements sont en hausse et la vie y est moins abordable pour les jeunes. Mais ce sont surtout les maisons existantes qui deviennent plus chères. La construction neuve est meilleur marché. Est-ce cela, le message ?

Kim Creteen : « Ce n’est pas ce que j’ai dit. Ce que j’ai dit, c’est que les différences entre les maisons existantes et les constructions récentes sont très limitées. Du point de vue de la durabilité, il s’agirait de majorer le prix de l’ancienne maison des frais de rénovation qui s’imposent pour aboutir à un même standard qu’une construction neuve. Une comparaison correcte pourrait alors être opérée sur la base de ces chiffres. De cette manière, vous remarquerez que le prix de revient d’une maison existante auquel s’ajouteront les frais de rénovation sera toujours plus élevé que celui d’une construction neuve. »

Si l’on opte pour une construction plus durable, quelle sera la différence, en définitive, exprimée en pour cent ?

Kim Creten : « Nous ne connaissons pas encore l’influence véritable de ce qui sera imposé aux banques. Tout dépend de cela. Cela pourrait évoluer vers une situation où nous ne pourrions plus financer de mauvaises situations sur le plan énergétique ou encore, dans pareils cas, où nous ne soyons plus en mesure de financer qu’un crédit à la rénovation. La réglementation n’est pas encore connue, mais à l’horizon 2050, toutes les maisons devront afficher 0 % d’émissions. Il y a encore du pain sur la planche. »

  • Avant de se quitter…

Pour clôturer la table ronde, chaque membre du panel est invité par les modérateurs à faire passer un dernier message.

Thierry De Wever : « Voici cinq ou dix ans, la durabilité ne m’intéressait absolument pas. Je partais du principe que personne ne serait prêt à mettre la main au portefeuille pour cela. Aujourd’hui, ma conception a radicalement changé. Pour nos enfants et pour les générations à venir, nous n’avons d’autre choix que de nous engager sur la voie de la durabilité. »

Dave Remue : « La technologie occupe une place de plus en plus importante dans le monde de la construction, de la conception à la construction proprement dite, sans oublier l’entretien a posteriori. La technologie rendra le processus de construction plus efficient et aura pour effet de multiplier les collaborations tous secteurs confondus, y compris avec le monde de la finance. »

Geert Temmerman : « Ma première recommandation est la suivante : s’il vous plaît, intégrez la durabilité à votre business model, car on observe que cette durabilité fait déjà partie de la stratégie de grandes entreprises. Les petites entreprises doivent leur emboîter le pas le plus vite possible. Deuxièmement, la standardisation est un élément-clé pour l’avenir. »

Kim Creten : « C’est simple : soit vous vous muez en une entreprise durable, soit vous ne ferez plus partie du paysage à l’horizon 2050. C’est un message très fort, mais je pense que c’est la vérité. Par ailleurs, je pense que, passé une période de transition, la durabilité favorisera également à l’accessibilité financière des logements. »

Wim Straetmans conclut la soirée en dépeignant les défis énormes qui nous attendent : « Face à ce constat, deux options s’offrent à nous. Nous pouvons avoir peur et être pessimistes, ou nous pouvons y voir une chance à saisir et faire preuve de flexibilité pour mettre toutes ces chances à profit à l’avenir. Je vous conseille à tous d’adopter cette manière positive d’appréhender les défis qui se présentent à nous. »