Les défis financiers du secteur de la construction

 

Le président Tom Willemen introduit le tout dernier workshop du Comité de Vision de Buildwise. Quatrième de la série, ce workshop aborde cette fois le financement et l’accessibilité financière du secteur de la construction. En effet, ce n’est un secret pour personne que de nombreux défis s’imposent au secteur de la construction, sur les plans politique, social, économique, technologique, écologique mais aussi financier. La manière dont nous relèverons ces défis déterminera l’évolution du secteur à l’avenir.

Tom Willemen : « Ce workshop a pour objectif d’esquisser l’évolution financière à venir et son impact sur le secteur de la construction. Le financement de la propriété de bâtiments change. On opte de plus en plus pour la location, le leasing et pour des modèles économiques proposant le logement et l’activité comme un service (as a service). L’Union européenne impose des réglementations de plus en plus nombreuses, orientant toute sa politique vers l’économie circulaire et la durabilité. Quelle sera la réaction des marchés financiers à ces futures règles en matière de durabilité ? »

Cinq principaux orateurs interviennent afin de présenter leur vision sur l’accessibilité des logements : Dave Remue (KPMG), Geert Temmerman (BNP Paribas Fortis), Kim Creten (KBC Real Estate), Thierry De Wever (Belfius Banque) et Wim Straetmans (Kairos).

Ils sont introduits par les présidents du jour, Kevin Dethier (Bouwbedrijf Dethier) et Jean-Christophe Vanderhaegen (Confédération Construction Bruxelles-Capitale). Ces derniers veillent également au bon déroulement de la table ronde organisée après les exposés.

  • Un monde en mutation

Wim Straetmans dirige le workshop d’une main de maître, livrant une présentation visuellement attractive et appréciée par les participants. Il compare ainsi les dépenses économiques au sein de différents secteurs afin de souligner le niveau encore beaucoup trop élevé des coûts de production dans le secteur de la construction. Si de nombreux pas ont été faits dans la bonne direction ces dernières années, les pertes d’efficacité demeurent excessives. Beaucoup d’efforts ont été consentis en faveur d’une qualité et d’une durabilité accrues, mais cela se répercute bien entendu aussi sur la fixation des prix dans la construction. Permis plus difficiles à obtenir, crise bancaire de 2008, réglementation supplémentaire sans oublier évidemment la crise du coronavirus…. tous ces aspects laisseront longtemps des traces. Autre mode de logement, autre manière de travailler : nous voulons réduire notre présence au bureau et disposer de plus d’espaces ouverts autour de notre logement. Avant l’invasion de l’Ukraine, Wim Straetmans s’est aussi déjà interrogé sur l’impact que cela aurait sur notre économie. De nouveaux modèles économiques, un partage de l’espace utilisé et les smart cities, telles sont les perspectives en vue. Le secteur bancaire s’y adapte déjà, faisant émerger des blockchains, des start-ups de toutes sortes, d’autres formes de prêts et même des initiatives telles que le crowdfunding.

  • Un tournant à partir de 2035

Dans son exposé, Kim Creten de KBC Real Estate aborde trois points importants : l’accessibilité financière des logements, l’impact de la réglementation européenne sur la position du monde bancaire et la place occupée par les investisseurs institutionnels sur le marché du logement. Sur ce dernier point, Kim Creten observe une ingérence croissante d’investisseurs institutionnels, mais occupant justement des positions sur ce que nous pourrions qualifier de « segment abordable ». Au niveau des prêts et de l’accessibilité des logements, sa vision actuelle de la situation est un peu moins optimiste, compte tenu des prix élevés du marché et d’un certain nombre d’autres facteurs. Kim Creten ne perçoit de légère amélioration qu’à partir de 2035. En conclusion, les marchés financiers seront toujours plus contraints à agir sur le changement climatique et la durabilité. Les emprunts contractés pour des bâtiments verts seront toujours bien financés, mais les bâtiments n’étant plus suffisamment conformes aux nouvelles normes seront de moins en moins abordables.

  • Une Europe climatiquement neutre 

Vient ensuite le tour de Thierry De Wever, qui traite pour sa part de l’accessibilité financière de la construction à l’horizon 2030 et 2040. Lui aussi pointe l’importance d’une politique axée sur la durabilité. L’Europe entend devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050, affichant déjà des objectifs très ambitieux pour 2030. Nous avons donc du pain sur la planche, mais Thierry De Wever indique également que, dans les années à venir, l’Union européenne investira de nombreux milliards dans de grands travaux d’infrastructure et dans la rénovation de logements. Un montant d’investissement très élevé se profile donc, auquel le secteur de la construction doit se préparer. Mais l’Europe impose aussi des exigences à l’égard de ces financements supplémentaires. Un principe important qui émerge est celui du ‘do not significantly harm’. Quiconque utilisera de l’argent public devra donc prouver qu’il ne cause pas de nuisances graves à l’environnement ou au climat. Concernant les logements sociaux dans notre pays, Thierry De Wever est très clair : nous accusons du retard, les listes d’attente sont longues, la qualité des logements est trop faible et la rénovation des anciens logements sociaux est bien trop lente. Malgré les nouveaux budgets supplémentaires qui seront mis à disposition, les logements sociaux continueront d’évoluer à un tempo beaucoup trop lent. Le secteur bancaire poursuit ses investissements dans le financement de logements sociaux, par l’intermédiaire des pouvoirs publics ou du secteur privé. Thierry De Wever passe ensuite au troisième point, celui du principe de circularité : réemploi, analyse du cycle de vie ou encore modèles économiques ‘as a service’. La décision des banques d’investir ou non dans ce domaine dépend toujours du projet précis : type de matériau, durée de vie prévue, possibilités de réparation ou de réemploi. Le financement et la durée de vie opérationnelle des matériaux sont chaque fois mis en balance. En Europe, on observe une augmentation des investissements et financements verts. Si la majeure partie des investissements verts concernent l’énergie, la deuxième place de ce classement est occupée par le secteur de la construction. Les investissements et contrats verts font également l’objet de meilleures conditions financières auprès du secteur bancaire que les investissements et contrats dits « bruns ». Il conviendra aussi d’en faire rapport et ce rapport fera prochainement partie du dossier financier. Opter pour un travail plus écologique facilitera donc également l’accès aux fonds d’investissement nécessaires.

  • La durabilité comme critère 

Geert Temmerman de BNP Paribas Fortis s’attarde plus en détail sur la relation entre le financement d’un projet et le volet ESG – environmental, social et governance – de ce projet. Ces trois facteurs centraux permettent de mesurer la durabilité d’un investissement. Adopter un mode de travail durable constitue non seulement une disposition légale, mais les clients et fournisseurs sont également de plus en plus demandeurs en la matière. Les organismes bancaires et financiers emboîtent donc le pas. Bien sûr, leur première étape consiste toujours à voir si un projet est suffisamment rentable, mais ils examinent également, lors de l’octroi d’un financement, si le projet s’avère assez durable et capable de résister à l’épreuve du temps. Les banques centrales soutiendront elles aussi de plus en plus le financement durable. À l’avenir, les entreprises seront donc de plus en plus évaluées sur cet aspect et, lors de l’octroi d’un financement, la durabilité fera partie intégrante des mécanismes d’évaluation. À terme, les banques belges et européennes créeront aussi de nouveaux produits liés à la durabilité. Pour le monde financier, le critère de durabilité sera immanquablement ajouté au baromètre immobilier. Il deviendra l’un des éléments importants dans la décision d’accorder ou non un financement.

  • Technologie et financement 

Dave Remue de KPMG conclut la série d’exposés en abordant la relation entre l’immobilier et les dernières évolutions en matière de technologie financière. La technologie évolue à toute vitesse, et la technologie financière n’y fait pas exception. L’état d’esprit des gens change lui aussi. En Belgique, on observe par exemple que 70 % des personnes qui louent un bien n’ont pas besoin de posséder leur propre maison. Notre rapport à l’immobilier connaît lui aussi une évolution fulgurante. Aujourd’hui, il existe déjà des entreprises dont l’activité consiste à acheter une maison pour le client pour ensuite le lui confier à la location pendant un certain laps de temps. Une partie de la location sert à constituer un capital qui permettra de souscrire un crédit hypothécaire par la suite. Il s’agit d’un modèle économique intéressant offrant un retour sur investissement avantageux si l’on combine la valeur de la maison, le loyer et les conditions financières. Et cela fonctionne également dans l’autre sens : une personne qui souhaite vendre sa maison peut aujourd’hui trouver, en quelques jours seulement, une entreprise prête à en faire l’acquisition. De telles entreprises disposent de suffisamment de cash et ne négocient le financement ultérieur qu’une fois l’achat effectué. La vente en ligne de maisons est un autre phénomène en plein essor. Basé sur l’intelligence artificielle, le système calcule instantanément la valeur de votre maison, en s’appuyant presque uniquement sur les images vidéo de votre bien que vous transmettez en ligne. Le site vous remet une proposition de prix et tous les détails peuvent également être réglés en ligne par la suite. La plupart de ces nouveaux modèles économiques sont actuellement basés aux États-Unis, mais ils font peu à peu leur apparition en Europe. De plus en plus souvent, la souscription de contrats de crédit hypothécaire entre les banques et les particuliers se fait également en ligne. Impossible donc de nier cette révolution en cours au niveau de la technologie financière ce qui, à court ou moyen terme, se répercutera sur notre rapport à l’immobilier.

  • Table ronde 

Lors de la table ronde organisée ensuite, de très nombreuses questions intéressantes émergent. Les réflexions les plus importantes concernent l’affectation des grosses sommes d’argent mises à disposition par les pouvoirs publics pour les logements sociaux et leur utilisation effective. En effet, il est souvent apparu par le passé que les budgets prévus n’étaient pas utilisés dans leur intégralité.

Les participants se penchent aussi plus en profondeur sur les changements en matière de prescriptions et de normes, sur les délais d’obtention de permis environnementaux, souvent trop longs, sur la possibilité ou non de prouver la durabilité du processus de construction et sur les nouveaux modèles économiques qui apparaissent çà et là.

Lors des prochaines contributions, nous nous attarderons plus en détail sur les annexes des orateurs principaux et exposerons les principales questions et réponses issues de la table ronde.