Keynotes ‘Financing & Affordability’
- L’argent et le secteur de la construction
Durant le symposium sur les finances dans le secteur de la construction, introduit par Tom Willemen en tant que président du Comité de vision de Buildwise, cinq keynote speakers ont partagé leurs expériences avec le public, en distanciel et en présentiel. Dans cet article, nous proposons de revenir plus en détail sur les interventions de ces cinq orateurs.
Wim Straetmans (Kairos) a comparé les dépenses économiques dans divers secteurs. En montrant ce que l’on peut acheter sur le marché avec cent, mille, dix mille et même cent mille euros, et en plaçant en parallèle un produit du secteur de la construction, il apparaît rapidement que les coûts de production dans ce secteur sont encore élevés. Par exemple, pour l’équivalent d’une des meilleures Tesla, vous pourriez à peine acheter trois cents mètres carrés de toiture. Cependant, une toiture existe en 1001 variantes et devrait bientôt durer bien plus longtemps que n’importe laquelle des 20 versions de Tesla disponibles…
- Manque d’efficacité
« La productivité dans le secteur de la construction a chuté, tandis que celle du reste de l’industrie s’est considérablement améliorée. Les coûts sont également élevés car, trop souvent, il convient de corriger une erreur et de recommencer et d’améliorer une partie du travail. Les marges d’erreur et les coûts engendrés sont tout simplement trop élevés. Si de nombreux pas ont été faits dans la bonne direction ces dernières années, les pertes d’efficacité demeurent excessives. On accorde de plus en plus d’attention à la qualité et à la durabilité, mais cela entraîne également une augmentation des coûts.
Des études récentes montrent que l’obtention d’un permis d’environnement et de construire requiert entre deux et cinq ans. Bien entendu, cela engendre également une augmentation des coûts d’investissement. La crise bancaire de 2008 a entraîné la conclusion de réglementations supplémentaires, compliquant grandement l’obtention des financements nécessaires et appropriés. Les incidents liés à des bâtiments, tels que l’incendie de la tour Grenfell à Londres, entraînent également de nouvelles réglementations et de nouveaux coûts pour le secteur de la construction, puisqu’il convient de respecter davantage de nouvelles règles. Les crises, telles que la crise du coronavirus, le blocage du canal de Suez par un porte-conteneurs, la crise énergétique ou la guerre en Ukraine ont de profondes répercussions et alourdissent les factures. Le secteur de la construction n’échappe pas non plus à l’effet qu’elles ont sur les coûts.
« Le promoteur immobilier chinois Evergrande accumule une dette de plus de 300 milliards d’euros, soit environ la moitié du produit national brut de la Belgique. Il a construit des projets immobiliers gigantesques qui ne trouvent pas preneur. En juillet, la Belgique a découvert les désastres que le climat peut occasionner. Les inondations coûtent beaucoup d’argent, le climat aura encore énormément d’influence et la montée de l’index devient incontrôlable. Tout cela met à mal notre rêve d’un logement durable et abordable. Le secteur de la construction n’est toutefois pas uniquement un secteur à problèmes, mais également un secteur d’opportunités. Nous nous adaptons et cherchons des solutions : la construction circulaire, les green deals, les nouveaux modèles de financement et économiques. Le modèle « as a service » est de plus en plus courant. La production d’énergie partagée, l’utilisation partagée de l’espace ou l’utilisation multiple et adaptable d’un même espace gagnent du terrain. »
Le leasing de produits et de services ou d’autres formes de propriété par lesquelles, par exemple, on n’achète plus un terrain à bâtir, ou encore les smart cities sont en train d’arriver chez nous. Le secteur bancaire s’y adapte, faisant émerger des blockchains, des start-ups de toutes sortes, d’autres formes de prêts et des initiatives telles que le crowdfunding.
- Le climat comme fil conducteur
Kim Creten (KBC Real Estate) a abordé l’accessibilité financière du logement, l’impact de la réglementation européenne sur le monde financier et la place des investisseurs institutionnels sur le marché du logement.
« Les prix actuels dans le secteur de la construction sont historiquement élevés et devraient le rester pendant un certain nombre d’années. L’abordabilité des logements est soutenue par une économie croissante permettant aux revenus des ménages de rester suffisamment élevés. L’achat d’un logement impliquant, pour l’acheteur lambda, d’emprunter une somme d’argent considérable sur laquelle il convient de payer des intérêts, un acquéreur a également intérêt à ce que les taux soient bas.
D’autres paramètres influencent le prix des logements, tels que l’éventuel déséquilibre entre « l’offre et la demande » et le coût des matériaux et de production. Concernant ces coûts de production, force est de constater qu’ils sont actuellement élevés dans le secteur de la construction par rapport aux autres secteurs économiques. Par conséquent, nous appelons le secteur à réduire immédiatement les coûts de production grâce à une plus grande standardisation, de nouvelles techniques de construction plus simples, etc. »
En outre, nous observons sur le marché l’émergence de nouvelles tendances visant à améliorer l’accessibilité financière : les grandes maisons à usage individuel étant devenues presque inabordables, nous considérons le « cohousing » comme une solution possible pour contrer ces prix d’achat élevés, puisqu’il permet l’achat de logements à plusieurs.
Les logements « kangourous », consistant à faire cohabiter plusieurs générations d’une même famille dans un grand logement, constituent également une réponse à ce problème.
- Procédures
« Nous pouvons également nous tourner vers les pouvoirs publics : ils peuvent influencer les prix du secteur de la construction en réformant les taxes, en intervenant sur les normes requises ou en raccourcissant les procédures de permis.
Enfin, lorsque l’on évalue le caractère abordable d’un logement, il est important de tenir également compte des coûts énergétiques et des coûts d’entretien à long terme.
Lorsque nous tentons de les quantifier et que nous comparons les revenus des ménages aux prix des logements, nous constatons que ce ratio était 61 % plus élevé à l’automne 2021 par rapport à la moyenne des quarante dernières années. D’autre part, nous ne devons pas fermer les yeux sur la baisse substantielle des taux d’intérêt. Si l’on prend en compte la charge d’emprunt au lieu du prix des logements, la surévaluation des logements reste limitée à environ 11 %.
Sur la base des attentes de la Banque centrale européenne concernant les prix des logements et les taux d’intérêt à long terme, nous avons également pu simuler l’évolution de ces paramètres à long terme. En supposant que les accords de Paris sur le climat soient respectés (c’est-à-dire que le réchauffement climatique soit limité à un niveau inférieur à 1,5 °C), le prix des propriétés du label A augmenterait de 80 % d’ici 2050 par rapport à aujourd’hui. L’indexation est bien sûr déjà incluse dans ce calcul. En général, plus un logement répond aux normes climatiques les plus strictes, plus il prend de la valeur. Sur la base de l’évolution des revenus des ménages, de l’évolution du produit national brut, des prix des logements et de l’évolution des taux d’intérêt, nous prévoyons que l’accessibilité financière des logements reviendra à sa moyenne historique à partir de 2035. »
Les réglementations obligeront de plus en plus les marchés financiers à réagir au changement climatique et à la durabilité. Les prêts pour les bâtiments verts deviendront probablement moins chers, tandis que les bâtiments ne répondant pas aux nouvelles normes et exigences environnementales ou les respectant insuffisamment seront de plus en plus difficiles à financer.
« D’une part, il y a la réglementation de Bâle IV. En conséquence, les acteurs financiers exigeront probablement davantage d’apport de capital avant de pouvoir accorder de nouveaux prêts.
D’autre part, il y a le nouveau Règlement européen « Taxonomie ». Les projets devront avoir un impact positif, par exemple sur le climat, tout en respectant le principe DNSH (« do no significant harm »). Sur la base de plusieurs points, chaque projet de construction devra être en mesure de démontrer qu’il ne causera aucun dommage significatif pour l’environnement. Les risques d’inondation devront être pris en compte. Les peintures polluantes ne pourront plus être utilisées. La consommation d’eau doit être réduite au minimum et la récupération de l’eau devient une nécessité. La biodiversité ne doit pas être compromise et la création de nouveaux espaces ouverts devient très difficile. La circularité devient un concept-clé. Nous devons nous efforcer de réutiliser davantage et de créer une sorte de cadastre des matériaux utilisés, afin qu’ils puissent être réutilisés après démolition. La construction devient dès lors une activité très complexe et la disponibilité et les modalités de financement seront donc en partie déterminées par ce règlement européen Taxonomie. »
Le marché de la location existe pour ceux qui ne peuvent pas, ou ne souhaitent pas, acquérir leur propre logement. Les investisseurs institutionnels s’intègrent de plus en plus dans ce marché. Ils acquièrent de grandes unités de logement afin de les louer. Une étude de marché limitée nous a permis d’établir que ces investisseurs institutionnels opèrent, en Belgique, principalement dans le « segment abordable » du marché du logement, créant ainsi une offre sur le marché locatif qui se positionne au-dessus du segment social. Le revers de la médaille : cela crée une concurrence dans ce segment de marché pour la classe moyenne, qui se concentre également sur cette catégorie de logements abordables. Cette classe moyenne éprouvera potentiellement plus de difficultés à acheter ces logements abordables à long terme.
- Nouvelles normes à court terme
Est ensuite venu le tour de Thierry De Wever (Befius Bank), qui a traité pour sa part de l’accessibilité financière de la construction à l’horizon 2030 et 2040. Lui aussi a pointé l’importance d’une politique axée sur la durabilité. L’Europe souhaite devenir le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici 2050.
« Cela semble encore loin, mais c’est maintenant que tout se joue. La première étape vers 2050 est 2030, date à laquelle l’Union européenne souhaite déjà voir se réaliser un certain nombre d’objectifs. À terme, nous voulons nous débarrasser de nos vieux bâtiments, qui consomment trop d’énergie et émettent trop de CO2. La rénovation se fait toutefois très lentement, beaucoup trop lentement. D’ici 2030, tous les nouveaux bâtiments devront avoir atteint une émission nulle. En 2040, l’utilisation de combustibles fossiles pour le chauffage sera proscrite. »
Ces évolutions pourraient s’accélérer en raison de la crise ukrainienne et de l’indépendance à court terme vis-à-vis des combustibles fossiles russes. Lorsque nous rénovons des bâtiments, nous devons déjà respecter les normes les plus strictes. Dans les années à venir, l’Union européenne investira également plusieurs milliards dans de grands travaux d’infrastructure : ports, aéroports, autoroutes et numérisation. L’Europe libère pas moins de 723 milliards d’euros pour effacer les conséquences de la crise sanitaire.
- 5,9 milliards d’euros
« Sur les 723 milliards d’euros, 5,9 milliards d’euros iront à la Belgique, dont 1 milliard d’euros pour la rénovation des bâtiments, un investissement auquel le secteur de la construction doit se préparer. Après une période de sous-investissement dans les infrastructures publiques, nous nous dirigeons vers une normalisation, avec 3 à 3,5 % du budget consacré aux investissements publics chaque année. Le gouvernement fédéral décidera de 17 % de ce montant. Les principales décisions reviendront donc aux régions. »
Thierry De Wever a également fait référence au principe important qui nous attend : le principe « do not significant harm ».
« En matière de logement social, notre pays est à la traîne : longues listes d’attente, faible qualité des logements et rénovation beaucoup trop lente des anciens logements sociaux. Deux acteurs sont présents sur le marché : les sociétés de logements sociaux, qui construisent généralement elles-mêmes des quartiers et des logements pour les vendre ou les louer, et les agences de location sociales, qui recherchent des logements sur le marché privé afin de les louer pour des périodes plus longues, c’est-à-dire 18 ans. La construction et la rénovation de logements sociaux, même avec des budgets supplémentaires, aura toujours pour conséquence de faire évoluer le logement social trop lentement. Thierry De Wever est plutôt partisan du principe des agences de location sociales. En tout état de cause, le secteur bancaire continuera à investir dans le financement du logement social, que ce soit par l’intermédiaire des pouvoirs publics ou du secteur privé. En effet, la demande de logements sociaux reste bien supérieure à l’offre, et en raison des prix élevés des logements, de l’évolution démographique de la société et de la lenteur du secteur du logement social, il est peu probable que cela change au cours des premières décennies. »
Thierry De Wever est ensuite passé au principe de circularité : réemploi, analyse du cycle de vie ou encore modèles économiques ‘as a service’. La décision des banques d’investir ou non dans ce domaine dépend toujours du projet précis : type de matériau, durée de vie prévue, possibilités de réparation ou de réemploi, possibilité de garantie. Le financement et la durée de vie opérationnelle des matériaux seront chaque fois mis en balance. Les investissements et contrats verts feront également l’objet de meilleures conditions financières auprès du secteur bancaire que les investissements et contrats dits « bruns ». Stop au greenwashing. Il conviendra aussi d’en faire rapport et ce rapport fera prochainement indissociablement partie du dossier de financement. Opter pour un travail plus écologique facilitera donc également l’accès aux fonds d’investissement et de financement nécessaires.
- La durabilité comme critère
Geert Temmerman (BNP Paribas Fortis) s’est attardé sur la relation entre le financement d’un projet et le volet ESG de ce projet, c’est-à-dire les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance permettant de mesurer la durabilité d’un investissement.
« Adopter un mode de travail durable constitue non seulement une disposition légale, mais les clients et fournisseurs sont également de plus en plus demandeurs en la matière. Votre client vous demandera surtout si votre produit final est durable et neutre sur le plan climatique. Vos fournisseurs s’y adapteront aussi de plus en plus. Les banques et les investisseurs suivront. Ils le font déjà. La première étape consiste toujours à voir si un projet est suffisamment rentable, mais ils examinent également, lors de l’octroi d’un financement, si un projet s’avère assez durable et capable de résister à l’épreuve du temps. Chez BNP Paribas Fortis, on s’enquiert déjà des émissions de CO2 et de la consommation d’énergie primaire du bâtiment pour lequel un financement est demandé. Les banques centrales soutiendront de plus en plus le financement durable et les entreprises doivent donc s’y préparer. Il convient d’intégrer la durabilité et les normes environnementales plus strictes dans une demande de financement. Désormais, ces aspects écologiques joueront un rôle dans la concurrence sur le marché. Les entreprises seront également de plus en plus jugées sur ces aspects et, lors de l’octroi de financements, ces aspects feront partie intégrante de l’évaluation. À terme, les banques belges et européennes créeront aussi de nouveaux produits liés à la durabilité. Pour le monde financier, le critère de durabilité sera immanquablement ajouté au baromètre immobilier. Il deviendra l’un des éléments importants dans la décision d’accorder ou non un financement. Les « Green Loans » gagneront indubitablement en importance dans les années à venir.
Toutes les banques créent aujourd’hui des produits liant l’ambition et la stratégie de durabilité d’une entreprise à un financement éventuel. Il existe des prêts qui sont liés aux performances ESG de l’entreprise. Si l’entreprise atteint ses objectifs ESG, un mécanisme de prix favorable s’applique. D’autres produits jouent spécifiquement sur les énergies alternatives, par exemple, et financent précisément les aspects rendant le projet de construction durable, comme les pompes à chaleur ou les panneaux solaires.
Outre la rentabilité d’un projet, la neutralité climatique, la durabilité, les investissements verts et la responsabilité environnementale sont des facteurs tout aussi importants qui joueront un rôle dans la décision d’accorder ou non un crédit d’investissement.
- Technologie et financement
Dave Remue (KPMG) a conclu la série d’exposés en abordant la relation entre l’immobilier et les dernières évolutions en matière de technologie financière. La technologie, y compris la technologie financière, évolue très rapidement, ce qui a également un impact sur le secteur de la construction. Les évolutions technologiques ont des conséquences sur la conception des bâtiments, sur la construction elle-même, mais aussi sur la vente, la location, l’utilisation ou l’entretien ultérieurs et sur l’obtention des financements nécessaires.
« L’état d’esprit des gens change lui aussi. En Belgique, nous constatons que 70 % des locataires aimeraient posséder une maison, mais que la moitié d’entre eux ne disposent pas de moyens suffisants pour pouvoir contracter un prêt pour acheter une maison. Notre rapport à l’immobilier connaît lui aussi une évolution fulgurante. Aujourd’hui, certaines entreprises achètent une maison pour le client. Elles le louent pendant un certain temps et se constituent un capital grâce à une partie du loyer. Celui-ci sert ensuite de base pour un prêt hypothécaire. Il s’agit d’un modèle économique intéressant offrant un retour sur investissement avantageux si l’on combine la valeur de la maison, le loyer et les conditions financières. Ces entreprises ne sont pas des acteurs de niche. Certaines entreprises, pour l’instant encore principalement américaines, sont devenues des acteurs majeurs du marché, comme l’entreprise Divvy. Et cela fonctionne également dans l’autre sens : une personne qui souhaite vendre sa maison peut aujourd’hui trouver, en quelques jours seulement, une entreprise prête à en faire l’acquisition. De telles entreprises disposent de suffisamment de liquidités et ne négocient le financement ultérieur qu’une fois l’achat effectué. La vente en ligne de maisons est un autre phénomène en plein essor. Grâce à l’intelligence artificielle, vous pouvez obtenir rapidement une première estimation de la valeur de votre bien après avoir partagé des photos et des images vidéo de votre maison en ligne au moyen d’une application spécifique. Vous recevez une proposition de prix et les étapes suivantes de la vente peuvent également être traitées en ligne. La plupart de ces nouveaux modèles commerciaux se trouvent actuellement aux États-Unis, avec des acteurs comme Opendoor, mais ils s’étendent progressivement à l’Europe, comme Zefir en France et Clikalia en Espagne. Nous constatons également que les demandes et les clôtures de prêts hypothécaires en ligne sont de plus en plus fréquentes dans nos régions. »
Toujours aux États-Unis, l’entreprise Build Technologies met la gestion de projet et la gestion financière à la disposition de promoteurs immobiliers. Ils organisent toutes les interactions entre les entrepreneurs, les sous-traitants, les investisseurs, les utilisateurs finaux, etc. sur une seule plate-forme, les paiements étant traités directement avec les parties concernées sur cette même plate-forme. De cette manière, le promoteur immobilier peut simplifier son suivi des projets, et ces gains d’efficacité peuvent contribuer à une meilleure accessibilité financière des logements.
Impossible donc de nier cette révolution en cours au niveau de la technologie financière ce qui, à court ou moyen terme, se répercutera sur notre rapport à l’immobilier.
Lors de la dernière contribution, nous nous attarderons sur les principales questions et réponses issues la table ronde.